samedi 29 octobre 2011

Ô dingos, Ô fachos ...



Je viens de terminer la lecture du livre de Jérôme Leroy : Le Bloc.
La France a pris feu. Le pouvoir en place en appelle à un parti d’ordre qui attend son heure depuis des années: Le Bloc patriotique. Dorgelles, son vieux leader, en a laissé la direction à sa fille Agnès. Tandis que les images des émeutes passent en direct à la télévision et qu’un petit compteur sur un coin de l’écran affiche le nombre des morts, cette dernière négocie avec le chef du gouvernement l’obtention d’une dizaine de postes ministériels. Ce sera un putsch en douceur, sans armée, mené par une belle femme brune, à la fois martiale et sensuelle.
Pendant ce temps-là, quelque part dans Paris, deux hommes monologuent. L’un dans son appartement, l’autre dans un boui-boui.
Le premier, c’est Antoine Maynard. Intellectuel fasciste, polémiste redouté, lecteur de Baudelaire, de Cravan, de Vailland, de Brasillach, de Drieu et amateur de castagne. Il a épousé Agnès. Il est fou d’elle et c’est réciproque. Le second, c’est Stankowiak, dit Stanko. Chef des nervis du Bloc, fétichiste des armes, spécialiste des arts martiaux et anti-métèques primaire. Maynard et Stanko sont frères de combat. De sang. En juxtaposant les deux récits, Jérôme Leroy retrace les trente ans de guerre politique d’un groupuscule qui, in fine, deviendra un parti gouvernemental.
Depuis Nada, de Jean-Patrick Manchette, je n’avais pas lu de « polar » aussi costaud. Costaud : dans le sens où le roman tient ses promesses de violence, mais aussi dans le sens où ce qu’il montre, le milieu de l’extrême-droite française, s’appuie sur une connaissance historique solide. Comme Jérôme Leroy écrit avec brio et précision, il piège le lecteur qui éprouve vite de l’empathie pour ces affreux qui ne sont pas tant des militants politiques que des aventuriers de l’apocalypse partageant la haine des tièdes, le goût de l’amitié virile, la passion de la tension. Une même bête enragée les a mordus.
À ce roman noir, des bonnes consciences imputent à crime sa neutralité morale. Qu’elles se rabattent, en ce cas, sur des contes bleus. Au reste, de quoi faudrait-il s’indigner ? Jérôme Leroy décrit des hommes qui veulent s’emparer de l’Etat, passent des alliances, se trahissent et s’entretuent, comme cela se passe chez leurs ennemis démocrates. N’est-ce pas rassurant ?

samedi 22 octobre 2011

Aspect actuel et particulier du " señoritisme" (suite)


La France change-t-elle beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément que ne le voudrait le président Sarkozy ? Désormais, quand ce dernier s'agite ici ou là pour le gévin, l’Europe, la Libye, le repeuplement du pays, personne ne s'en aperçoit. Il en va de même pour Bernard-Henri Lévy qui eût tellement aimé que ses compatriotes saluassent en lui l’intellectuel engagé et courageux ayant épargné aux Libyens un bain de sang — qui a eu lieu. Ce qui était ignorer deux choses : 1) la lassitude des Français à le voir gesticuler toute houppette martiale dressée sur la tête à la moindre guerre civile qui éclate, et 2) leur indifférence à l’égard de la prétendue révolution libyenne. Nul doute que l’intéressé considère la première raison du silence qui entoure son héroïsme comme étant la plus grave, mais c’est la seconde qui compte. Car dans cette affaire libyenne, personne en France n’a cru qu’il s’agissait pour l’OTAN de sauver les populations civiles et d’aider un mouvement démocratique, mais de remplacer un dirigeant incontrôlable par une équipe jugée, sans discernement, plus soumise aux puissances occidentales. Les discours lénifiants de BHL sur la liberté des peuples ne sont plus audibles. Les Afghans retrouvent les Talibans. Les Irakiens s’apprêtent à fonder une république chiite. En Tunisie les salafistes la ramènent. En Égypte l’armée pactise avec les Frères Musulmans. Le printemps arabe annonce un long hiver islamiste. Nous entrons dans l’automne et les premières glaces viennent de saisir la Libye.       


lundi 17 octobre 2011

Qui achète ?


Pour sa première émission — "Les grandes questions" — diffusée sur France 5, Frantz Olivier Giesbert a eu l’idée de réunir dans une galerie marchande des vedettes de la pensée médiatique — Alain Minc, Michel Onfray, Emmanuel Todd, Edgar Morin et Cynthia Fleury. Preuve est faite qu’il est un fidèle de notre blogue et qu’il a bien lu notre hommage rendu à Lucien de Samosate et à son Philosophes à vendre.

mardi 11 octobre 2011

Spleen et Idéal (féminin)

J’ai constaté que dans le monde du cinéma, une actrice, piquante en sa prime jeunesse, embellissait avec l’âge — ainsi Romy Schneider, petite princesse d’opérette à dix-sept ans dans Sissi de Ernst Marischka, amante désabusée à trente ans dans La Piscine de Jacques Deray —; qu’il pouvait y avoir un décalage entre son image à l’écran et son réel visage dans la vie — ainsi Marilyn Monroe, ravissante et joyeuse idiote dans les chefs d’œuvre de Billy Wilder, femme secrète et en détresse, hors champ, sous l’objectif des photographes de plateaux — ; ou que sa personnalité même, justement, était nécessaire pour incarner des rôles puissants, ainsi Gena Rowlands de Faces à Lovestream de John Cassavetes. Et sans doute est-ce le septième art, grâce à quoi je fis très tôt mon éducation esthétique et sentimentale — où est la différence ? — qui me persuada aussi de toute la force de cette remarque de Baudelaire notée dans un journal intime : « Je ne prétends pas que la Joie ne puisse s’associer avec la beauté, mais je dis qu’elle en est un des ornements les plus vulgaires, tandis que la Mélancolie en est pour ainsi dire l’illustre compagne […] ».

jeudi 6 octobre 2011

Hommage


J’ignore tout de Steve Jobs — et n'ai aucune curiosité à son sujet —, mais je lui suis reconnaissant d'avoir inventé l’ordinateur portable. Grâce à mon Macbouquaire, ultrafin et léger, je puis réunir mes deux plus grands plaisirs : l’écriture et le lit. 

mardi 4 octobre 2011

Bis repetita placent

Quand cet opuscule parut il y a une dizaine d’années sous le double parrainage — au sens mafieux du terme — de l’Infâme R.J. et du joyeux logicien du pire Clément Rosset, il m’attira bien des inimitiés mais, aussi, me permit de connaître de nouveaux amis malfaiteurs. Quand il sortit des presses, je regrettai un peu que le titre ne fût pas présenté sous les belles lettres anglaises qui faisaient tout le chic de la collection «Perspectives critiques». Après quelques années d’«indisponibilité chez l’éditeur », Sur le blabla et le chichi des philosophes reparaît demain avec une nouvelle couverture couleur gris anthracite et, enfin!, l’élégant lettrage. J’imagine la joie de mes lecteurs quand ils verront que la surface du contenant sera en harmonie avec la profondeur du contenu. Ce cinq octobre sera une fête.

samedi 1 octobre 2011

De la cuistrerie illustrée

Encourageant les gens à se montrer «décomplexés» en n’importe quel domaine, notre époque favorise chaque fois plus l’exhibition de ridicules qui, il n’y pas si longtemps, respectaient une invisibilité de bon aloi. Parmi les ridicules en question, figure en bonne place la vulgarisation de la philosophie. Mais qui le voit ? L’idée de populariser une discipline d’accès difficile semble des plus louables. Quant aux professeurs de philosophie auteurs d’encyclopédies parascolaires illustrées de bandes dessinées, les gazetiers les saluent comme de généreux pédagogues  — ayant, comme ils disent, un grand « sens du partage ». Grâce à ses nouveaux « passeurs », la philosophie s’évade enfin des sanctuaires du lycée, de l’université, des grandes écoles, et perd sa désastreuse image de matière compliquée auprès du grand public. Ludique, rigolote et colorée, la voilà à la portée des nuls, des déshérités de la culture, des mal lotis de la dialectique.
Un énième produit de ce genre vient de paraître : La planète des sages, commis par un duo de comiques du concept — Charles Pépin pour les notices didactiques et Jul pour les dessins. Cela se présente comme un dictionnaire des grands noms des philosophies occidentale et orientale. Pour juger du niveau de l’entreprise, écoutons Pépin : « Dans le cas de Hegel, le dessin de Jul met en scène un ado qui s’en va taper sur Hegel au lieu d’aller taper sur Google… En fait, tous les philosophes qui sont venus après Hegel (l’existentialisme de Sartre, la déconstruction jusqu’à la phénoménologie) sont des gens qui n’avaient qu’une seule idée en tête, c’était de taper sur Hegel. Je trouve que le dessin met très bien en relief cet aspect et au delà de l’humour, partir du dessin m’a permis de vivre une expérience nouvelle très riche. » Gageons que dans la prochaine édition « audio » on entendra des rires enregistrés.
À propos de déconstruction, je m’en permettrais une petite au passage. La saison est au «décalage». Un spécialiste de philosophie qui fait appel à un dessinateur afin de faciliter la compréhension de Hegel est, dit-on, un « philosophe décalé ». Je dirais quant à moi un démagogue et un pédant. Démagogue car tout spécialiste de philosophie sait bien que son enseignement n’est pas impopulaire parce que difficile, mais qu’il est difficile parce qu’impopulaire tant il demande des efforts de lecture et de relecture. Pédant, car que ce soit sous forme d’albums illustrés ou autre « supports» graphiques, vulgariser des pensées complexes en prenant des mines de potache attardé, n’est encore qu’une manière de ramener sa science et une occasion d’étaler ses diplômes — comme Pépin ne manque jamais de le faire à chaque émission de promotion.