dimanche 17 juin 2012

Artiste du chaos


"Quand j’étais enfant, mon héros cinématographique, comme pour beaucoup de gamins, était Charlot — je ne parle pas des personnages que Chaplin jouera dans ses longs métrages et que je découvrirai plus tard au ciné-club de mon lycée et tels que: Les lumières de la ville, Les Temps Modernes, Le Dictateur, et le plus sombre d’entre eux, Monsieur Verdoux. Si je ne mesurais pas tout le fond subversif de cette forme de burlesque, j’en subissais avec jubilation les séductions. J’en percevais vaguement aussi la tonalité tragique, le fond pessimiste. Car le génie de Chaplin n’était pas seulement de susciter par le rire une vive sympathie pour le personnage d’un vagabond rebelle, espiègle, allergique aux policiers, rétif au travail, amateur de jolies filles, etc., mais de rappeler que la vie pouvait à tout moment devenir une suite de mésaventures sur fond de désolation et qu’aucune structure ne soutenait durablement le monde. «Le grand thème de la vie, c'est la lutte et la souffrance», écrivait-il dans Ma vie ; ou encore : «La beauté est une omniprésence de la mort et du charme, une tristesse souriante qu'on discerne dans la nature et en toute chose». Qu’il fût patineur, usurier, employé dans un cirque, chercheur d’or, etc., Charlot incarnait l’Irrégulier qui, par ses gaffes, ses maladresses, ses irrévérences, et sans déranger l’impeccable mise de ses frusques, replongeait le monde dans son état initial de chaos chargé de tous les périls. Ce clochard sentimental toujours fauché et, quoi qu’il arrive, tiré à quatre épingles, fut mon premier maître en dandysme et en anarchisme."


In La Beauté
Une éducation esthétique
Éditions Autrement
En librairie le 12 septembre 2012

16 commentaires:

  1. Cher Frédéric,

    Si je ne me trompe pas, Alain Soral vit à Bayonne.Je n'ose imaginer votre rencontre. Un pitbull croisant un setter anglais.
    Et Beigbeder, à Guéthary, le croisez-vous?


    Stéphane N. Bordeaux.

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  2. Cher Schiffter,

    Je trouve saisissant votre exposé de l’impression que vous faisaient ces petits films que nous regardions, sans nous connaître, en même temps… par la force des choses et de la technique, à ce moment.

    Disons que le dandy — jusque dans la misère —, anarchiste, sentimental et toujours vif vainqueur des lourds et vulgaires butors, était bien ce que je voyais également et qui m’inspirait, mais j’avoue n’y avoir jamais vu que « la vie pouvait à tout moment devenir une suite de mésaventures sur fond de désolation et qu’aucune structure ne soutenait durablement le monde. », alors même que je venais d’en faire l’expérience historique très précise.
    Seules ses victoires m’intéressaient.

    C’est ce qu’on appelle avoir des caractères opposés, et il est plus saisissant de le voir sur un exemple comme celui-là, qui touche à l’enfance, que de le sentir dans des exposés théoriques.

    Sinon, Corcovado, dont vous avez eu la bonne idée de donner, chez V., l’interprétation par Sinatra, (ici, clic ), est un hymne sensualiste qui nous a directement inspirés et vers lequel nous tendons toujours with love and emotion.

    Quiet nights of quiet stars quiet chords from my guitar
    Floating on the silence that surrounds us

    Quiet thoughts and quiet dreams quiet walks by quiet streams
    And a window looking on the mountains and the sea, how lovely

    This is where I want to be here with you so close to me
    Until the final flicker of life's ember

    I, who was lost and lonely believing love was only
    A bitter tragic joke, have found with you,
    The meaning of existence, oh my love

    Donc : Love is not [only] a tragic joke, and, Idyllic-Libertin, you can find, with your lover, the meaning of existence.

    Cela ne peut pas être du pessimisme ravageur.

    Pour Chaplin d’accord ; mais on garde Corcovado, et c’est dans ce même mood corcovadien que je vous envoie ces quelques mots, dans la chaleur du soir…

    Pour vous remercier pour Sinatra, et comme je me demandais où vous aviez pu voir Chaplin ailleurs qu’au ciné-club de votre lycée, il m’est revenu un petite musique et l’image d’une animation dans laquelle une voiture se retournait : j’ai retrouvé ceci http://www.youtube.com/watch?v=uncwBGJSvdk&feature=related

    I hope it will do…

    À vous,

    R.C. Vaudey

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  3. L’Internationale lettriste se manifeste publiquement pour la première fois à Paris le 29 octobre 1952, en attaquant au Ritz la conférence de presse tenue par Charlie Chaplin pour la promotion de son film Limelight. Berna, Brau, Debord et Wolman lancèrent un tract d'insulte (Finis les pieds plats !) qui traitait notamment Chaplin d'« escroc aux sentiments » et de « fasciste larvé ». Seuls Jean-Louis Brau et Gil J Wolman purent pénétrer dans la salle de la conférence de presse et y jeter les tracts. Guy Debord et Serge Berna furent arrêtés par la police (qui les prenait pour des admirateurs) en essayant de s’introduire frauduleusement par les cuisines du Ritz. Isou, Pomerand et Lemaître, refusant de cautionner cette action, publièrent aussitôt un démenti dans le journal Combat du 1er novembre 1952. Ce désaveu public acheva de marquer cette séparation idéologique.

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    1. On n'en a rien à foutre, mon petit Anonyme. Vraiment.

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  4. « La surface n’est pas pour Nietzsche ce qui s’oppose à la profondeur mais au contraire ce qui permet à la profondeur d’être visible, ce par quoi la profondeur se manifeste : comme en témoignent les Grecs de l’époque classique, dont Nietzsche écrit au début du Gai savoir qu’ils étaient « superficiels par profondeur ». » p 59 – 60.Clément Rosset – La force majeure.



    Charlot, cher Frédéric, c’est l’homme d’humour par excellence. L’homme de la superficialité, du paraître. Mais à la surface du rire, sous l’apparence du masque, c’est la profondeur du réel qui transpire. C’est le comique du tragique.
    Chez Charlot l’allégresse est d’une lucidité acerbe, c’est le savoir de la désillusion, celui le moins réjouissant de tous : le reflet sordide de l’humaine condition.
    Sous l’apparence insouciante de Charlot : les obsessions tenaces, les pouvoirs illusoires, les abus, les démesures, les cruautés, les tentations, les absurdités…
    Charlot, c’est la sensible observation, le fin discernement, la claire distinction, cachés sous des acrobaties blanches.

    Une dramaturgie burlesque et tragique, en somme.

    Bien à vous - Le chêne muet.

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  5. En fait, quand j'étais petit, Charlot me faisait flipper !..

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  6. Cher Frédéric,

    Je m'attendais, de votre part, plutôt à un éloge de Buster Keaton.

    Bien à vous.

    Stéphane N. de Bordeaux

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  7. Chère Virginie, cher Frédéric Schiiffter,

    Concernant Clément Rosset qui a été cité ci dessus, il est à noter la parution de deux nouvelles oeuvres ''Récit d'un noyé'' et ''L'invisible'', le 11 Octobre aux Editions de Minuit

    Vivement la ''Beauté'' et ces deux oeuvres....

    Bien à vous.

    Stéphane.

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    1. Un soir, au restaurant, Clément Rosset me fit le récit de sa noyade à Majorque. C'était bidonnant, comme d'habitude. Il fallait l'entendre pester contre les secours arrivés juste à temps pour le sauver. Je précise qu'il n'avait aucune intention de mourir. Simplement, en nageant, il eut l'envie de dormir. Il s'est assoupi en nageant la brasse comme d'autres s'endorment au volant...

      Chaplin, Keaton, Rosset...

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  8. Tout le monde aimait Charlot ! Un génie du ratage réussi, facétieux et agile, avec cette fébrilité enthousiaste et communicative dans le mouvement, et la dimension poétique bien sûr, pathétique souvent. Et il était beau ! Quel regard ! L'un des seuls si je ne m'abuse à avoir réussi le passage du muet au parlant, beaucoup s'y sont cassé les dents, Buster Keaton entre autres.. J'avoue que j'ai gardé une tendresse particulière pour le duo Laurel et Hardy. Merci de cette avant-goût, cher Frédéric, en attendant septembre !

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  9. Pour une fois je peux dire : "Vivement la rentrée !"

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  10. Comme Axel, Chaplin (et Keaton aussi d'ailleurs) me faisait flipper quand j'étais gamine. Son intrusion dans le monde des fées (lectures des filles du siècle dernier) condamnait à voir le réel alors qu'il semblait invivable. Plutôt fermer les yeux.

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  11. "Groucho Marx m'a enchanté (...) Il y avait aussi Laurel et Hardy (...) A l'époque on allait voir ça le jeudi. Les familles n'étaient pas contentes. Elles estimaient que ce n'était pas assez éducatif. On devait aller voir des films emmerdants. Ça a toujours été comme ça: ce qui est culturel est obligatoirement emmerdant. Chaplin a été le plus grand acteur du monde. Il a eu du génie avant de devenir chiant. Lorsqu'il a lu les journaux, il a pris une grosse tête."
    Trouvé dans "Audiard par Audiard"... Cadeau de fête des pères... Mais c'est de votre faute, aussi, cher Schiffter. Si "La beauté" était sorti avant j'aurais pu orienter le choix de ma progéniture...
    Par ailleurs il avait de bons yeux, Charlot, pour discerner la tristesse souriante en toute chose... Moi, souvent, elle m'échappe...

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  12. Ce Chaplin que vous avez choisi de nous montrer, c'est à le regarder la métaphore de l'artiste/écrivain timide et débutant entrant pour la première fois dans un salon mondain, ou peut-être passant à la TV dans "Ce soir ou jamais". Bref, c'est génial.

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  13. magnifique blog
    sur le vagabond rebelle

    permettez-moi de vous offrir
    une de mes chansons
    alors que j'étais
    vagabond poète moi-même

    CHANSON POUR MA GUITARE

    COUPLET 1
    durant une grosse semaine
    j’ai laissé ma guitare toute seule
    d’une chambre à 4
    à l’armée du salut

    j’voulais d’la légèreté
    ressentir mes mains nues
    en marchant des centaines
    de coins de rue

    j’me disais veux-tu ben m’dire
    à quoi ça sert de chanter en français
    quand tout autour de toé
    le monde ça parle en anglais

    REFRAIN
    on est fragile dans vie
    quand on est loin
    de sa meilleure amie

    fragile dans vie
    même si l’hiver à Toronto
    c’est si joli

    COUPLET 2
    à matin les gardiens d’sécurité
    du centre Eaton de Toronto
    m’ont vu chanter

    y devait être 7 heures – quart.
    Ma guitare me traversait l’corps
    j’avais les yeux fermés

    j’ai r’cu tellement de good morning
    comme si les anglais
    s’étaient ennuyés

    de ma guitare pis moé
    de ma guitare pis moé
    ou peut être juste de ma guitare comme moé

    COUPLET 3
    midi et quart 8 ème étage
    du magasin la Baie
    assis à une table
    d’un restaurant vitré

    j’joue d’la guitare
    en face d’un édifice
    avec une grosse horloge
    qui m’donne la soif de vagabonder

    y a tellement d’soleil s’es aiguilles
    qui fait que tout c’que j’vois
    c’est la beauté d’la mer
    les plages de Vancouver

    ma guitare pis moé pour le prochain hiver

    Pierrot
    vagabond céleste



    www.enracontantpierrot.blogspot.com
    www.reveursequitables.com

    http://www.tvc-vm.com/studio-direct-235-1/le-vaga bond-celeste-de-simon-gauthier
    http://www.reveursequitables.com.centerblog.net



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