mercredi 17 octobre 2012

Fin de la Corée du sud



The Devils — Ken Russel (1971)

Nous sommes inquiets. À Séoul, la Commission Éthique des Publications revient sur sa décision d'interdire les Cent-vingt journées de Sodome du marquis de Sade. Heureusement, elle n'en autorise pas la vente (sous papier plastifié) aux jeunes gens et aux jeunes filles de moins de dix-neuf ans. Nous ignorons si cette demi-mesure de prohibition s'étendra au Dialogue entre un prêtre et un moribond, ouvrage pseudo-philosophique dont l'obscénité atteint pourtant des sommets comme on peut en juger avec l'extrait suivant, insoutenable:

" […] — Le Moribond: La raison, mon ami, oui, la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux, et notre cœur, que de contribuer à leur félicité, est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordée sur la terre; toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot: rendre les autres aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir. Voilà, mon ami, voilà les seuls principes que nous devrions suivre et il n'y a besoin ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là, il n'est besoin que d'un bon coeur. 
Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance; laisse là tes dieux et tes religions; tout cela n'est bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un autre monde, il n'y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre de doubler ton existence ou de l'étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l'ai encensée toute ma vie, et j'ai voulu la terminer dans ses bras: ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l'hypocrisie[…]."


Oserons-nous transcrire la scène d'une rare violence par quoi le dialogue se termine? Il le faut afin de comprendre pourquoi nous tenons Sade pour un écrivain malsain:


"[…] Le moribond sonna, les femmes entrèrent et le prédicant devint dans leur bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer ce que c'était que la nature corrompue.[…]

6 commentaires:

  1. Cher Schiffter,

    Eh bien, voilà ! Malgré vos tergiversations (aujourd’hui, on pouvait lire le titre de votre article mais non l’article lui-même… ce qui est un signe…), vous avez finalement penché vers le Mal, en livrant à la lecture de tous la fin de ce passage — infâme — de ce texte de l’ignoble marquis de Sade, ce type « anormal », qui osait écrire ce que nous n’osons même pas phantasmer — que dis-je, ce que nos esprits sains n’auraient pu connaître sans le poison de son imagination perverse, dépravée, en un mot : anormale ; crime suprême dans notre époque absolument normale — du sous-sol du pays profond au sur-plafond radieux (rats-dieux ?) de l’Etat — où tout le monde veut travailler, faire carrière, se marier et pouponner — des bébés transgéniques, si possible — même les bougres et les ribaudes, pardon, même les Gays & Lesbiennes.

    Dans une si belle époque, il serait d’ailleurs normal qu’un tel « auteur » fût interdit, et remplacé par une bonne cinquantaine de nuance de gris — de ce gris qui marque si bien notre temps.

    Vous aurez noté, sans doute, que — tout en me parant du titre d’Antésade — j’y travaille, ayant déjà infiltré les bases maudites en me faisant édité par les deux hommes qui, ayant décidé, dans un avion, entre Paris et New-York, en 1982, de publier le « misérable » dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade, l’ont fait !

    Comme on dit : l’entriste attend son heure, comme l’année mots-Sade attend les douze coups de minuit, un soir de réveillon : le virus antésadien est dans la place, et attend lui aussi l’instant propice.

    D’ailleurs, je sens les premiers frissons, un début de délire peut-être, une fièvre coloniale — sans doute : je vous laisse.

    À vous,

    R.C. Vaudey

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  2. L’extrait joliment –et sournoisement - choisi que vous nous faites partager pourrait bien être le texte d’un sermon de père jésuite, non ? Mais ayant la mémoire qui flanche assurément, il reste néanmoins de vieux souvenirs ou plutôt de vieilles impressions d’un message bien différent délivré dans ce livre lu en cachette il y a plus d’un demi-siècle (et même bien plus d’un demi-siècle !...) et auquel je reconnais n’avoir pas compris grand chose. Je préférais alors « Le Jardin des supplices » et « Histoire d’O. » ou « Et on tuera tous les affreux ». Mais nul doute que vous m’incitez-là à (re)lire les « Cent vingt.. », cette fois avec le regard d’un septuagénaire actif.

    On pourrait mettre en garde les autorités de Corée du sud (j’ai corrigé, j’avais écrit du sade) sur Stendhal chez qui on trouve des propos d’un voyeurisme éhonté, d’un érotisme torride et d’une intensité charnelle tels que je comprendrais que vous les censurassiez : « Elle était si belle, à demi vêtue et dans cet état d’extrême passion, que Fabrice ne pût résister à un mouvement presque involontaire. Aucune résistance ne fut opposée. » in La Chartreuse de Parme.

    Même au rayon poésie, ne trouve-t-on pas Boris Vian :
    « Un homme tout nu marchait
    L'habit à la main »


    Bien cordialement.

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  3. Cher Frédéric,

    Il y a de cela quelques années j’ai essayé de lire ces fameuses 120 journées… J’avais abandonné, littéralement écœuré au tiers du livre.

    A l’occasion d’un cycle consacré au marquis sur les NCC en 2011, j’ai tenté de reprendre cette lecture là où je l’avais laissée. J’ai capitulé au bout de quelques pages… Ce n’était qu’une répétition de sévices mâtinées de scatologie et autres joyeusetés du même acabit.

    L’émission des NCC consacrée à ce pavé, dont je laisse lecture exhaustive à ceux qui pourraient y trouver intérêt, n’a d’ailleurs pas été sans susciter quelques remous (ceci dit, je suis de ceux ayant trouvé l’émission fort intéressante et utile ; et me suis quelque peu trouvé rasséréné et senti moins seul quant aux motifs de mon écœurement).

    (Sur le lien ci-dessous un bref extrait du livre)

    http://www.actualitte.com/societe/le-marquis-de-sade-sur-france-culture-choque-le-csa-29875.htm

    Amicalement
    Axel

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  4. Cher Axel,

    Le divin marquis n'est pas tant écœurant que sacrément rasoir. Jamais écrivain, sauf Bataille, peut-être, n'a eu autant le génie de décourager son lecteur. Je sauverais peut-être La Philosophie dans le boudoir où l'on trouve une fougueuse diatribe républicaine (et, au passage, une condamnation de la peine de mort et de belles envolées féministes).

    Maintenant, en dehors de toute considération littéraire (Sade m'emmerde) et philosophique (Sade est un hédoniste banal comme on en peut juger avec le texte ci-dessus), la vie de cet homme est romanesque à souhait et représente, quoique l'on en ait, une figure radicale de la liberté. Je ne vois aucun penseur qui ait tant fait parler de lui en mal de son vivant comme après sa mort. Aujourd'hui encore on trouve des têtes plates et des Monsieur-Madame la Pudeur pour lui faire la peau à titre posthume.


    À vous,

    Frédéric



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    1. Pierre Dubost19 octobre, 2012

      Ce passage du "Dialogue entre un prêtre et un moribond", on dirait du Onfray avant la lettre...

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