mercredi 28 février 2018

Le bluff de la vie philosophique — 2


Quand j’entendis pour la première fois le nom de Dorian Astor, je le confondis avec celui d’un joueur d’accordéon. J’appris que Dorian Astor était en réalité l’auteur d’un Dictionnaire Nietzsche d’un bon millier de pages — réunissant pas moins de trente contributeurs. Encore un pensum dont le but est d’ajouter de la confusion à une pensée embrouillée, ai-je songé d’emblée. En feuilletant l’ouvrage, j’en fus convaincu. Nietzsche est, de loin, l’auteur qui attire le plus les thésards, les obsédés de la glose et autres maniaques de l’exégèse. Avec ce dictionnaire, Dorian Astor s’est rendu coupable d’offrir une tribune aux plus illisibles d’entre eux. Mais là ne s’arrête pas sa lourde nietzschéophilie. Dorian Astor a commis un essai intitulé Deviens ce que tu es. Un sommet de philosophe. Je n’entends pas par là un comble de pensée philosophique, mais la cime d’une pénible façon de s’exprimer. Dorian Astor n’écrit pas en français courant, mais en philosophe, la langue des professeurs de philosophie, un mélange de tics rhétoriques propres à leur métier et de prétention littéraire obligeant le lecteur, même s’il est de la partie, à un effort d’intuition divinatoire. Un exemple: «Ce n’est pas de soi que l’on a conscience, c’est le soi qui se donne la conscience, par l’intermédiaire du moi, pour saisir autre chose que soi-même.» (p.78) Un autre: «Qu’est-ce qui fait que nous devenons? Qu’est-ce qui rend compte de ce qui se passe, de ce qui passe entre les manières d’être, entre les points subjectifs ? […] Nous sommes pris dans des devenirs a-subjectifs et impersonnels qui sont peut-être précisément ce qui nous individue (sic)» (p.80) Un dernier: «La pensée est un cas particulier et problématique parmi les réponses de l’homme au problème du réel — mais aussi la perception du problème par lui-même comme tendance à sa propre résolution.» (p.135)Quand il m’arrive de lire du philosophe je bâille, raison pourquoi je ne pus me concentrer sur le livre de Dorian Astor censé, si j’en crois le sous-titre, m’apprendre à vivre une vie philosophique. Que m’a dit alors ma conscience face à cet imbitable traité de sagesse? « — Comme le temps n’arrange personne et comme on ne se refait pas, efforce-toi de demeurer svelte et coquet quitte à passer pour un surhomme frivole.»